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Castawaycore

Aesthetics of the end of the world

//multi-media creations

2019 - 2025

/installations

/text

/drawing

/short film

Castawaycore or “Shipwrecked Art” is an artistic research initiated by Xavier Prevot in 2019, born of the encounter between a work in Arte povera inspired by Chris Marker's Junkopia and repeated geographical transitions between the heart of urban centers and marine debris stranding sites. These early forms took shape in a literary short story, a thirty-meter fresco, theatrical fictions and installations on deserted beaches in India. Beyond these creations, Castawaycore takes the form of an aesthetic and a thought resurgent through all Xavier Prevot's work.

"Jean Tinguely. - Niki look. The end of the world

Niki de Saint Phalle. - Boom !"

~ Nevada desert

At once methodical, serious and derisory, Castawaycore dreams of being the ultimate trend fashion in the line of Metalcore, Fairycore, Gorpcore and a thousand others. As in this case, the combination of a key word followed by the term referring to the desire to get to the “ core ” of something transforms two words into a magic formula, the key to an imagery, a language, a way of looking at the world. To look at Castawaycore is to enter by thought into the heart of what the desire to be shipwrecked signifies. It is a deliberate fetishistic act celebrating creation as resistance in the face of adversity, no longer as a struggle, but as reconciliation in the process of building in listening to its precarious, transitory forms.

Like a shipwreck, finding oneself on the margins of society is most often an event beyond one's control. Usually it is a personal cataclysm, unless, precisely, the act is voluntary. Castawaycore is an act of voluntary shipwreck, made possible - necessary? - by the fact that it is placed in the hands of a white, middle-class Western individual. This act combines the fantasized prospect of destitution in a paradisiacal elsewhere with the omnipresent reality of personal and collective wreckage at the heart of the world.

In a shipwreck situation, everything superfluous disappears, making way for a minimalist yet meaningful aesthetic. Castawaycore attempts to break with capitalist aesthetic canons by collecting the surplus, or refuse, rejected by a society of abundance. Finally, it is about inventing a common imaginary, necessary for the transition from a state of stupefaction to the setting in motion of other ways of thinking the world together.

But above all, Castawaycore is a joyful act. It is a celebration of an apocalypse that will not happen. Or rather, is already happening, every minute and every second since the first debris fire lit by a Homo erecturs a very long time ago.

<⬤>

 

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Comment on avait construit le Palais de poussière


*


Un jour un homme avait voulu cesser de parler.
Vivre dans le silence parmi ses semblables.
Il y avait beaucoup pensé.
Longtemps après, il en avait rencontré d'autres comme lui.
Par hasard.
Ou peut-être que ça devait arriver.
Comme les grands courants off-shore ramènent les objets dérivant en un même tourbillon.
Puis qu'ils étaient loin les uns des autres, ils avaient longtemps parlé sur les réseaux.
Ils avaient appris à ce connaître et avaient partagé leurs idées.
Et pendant un temps, ce fil de dialogue qui se déroulait à l’infini, ce langage qu’ils désiraient quitter les avaient si fortement relié chacun. Chacun nageant dans un océan de Bits lumineux, loin d’un corps voûté sur la lueur de l'écran dans un meublé silencieux.
Dehors pendant ce temps, la nuit engloutissait les contours d'une lointaine banlieue.
On s'était dit qu'on allait le faire.
Enfin.
On allait cesser de parler.
Et si on avait tous été d'accord sur ce point, le bruit qui s'en était suivi avait redoublé.
Longtemps après, beaucoup avaient quitté le groupe.
Par dépit.
Et on avait un peu cessé d'y croire quand quelqu'un avait enfin trouvé un lieu.
C'était au bord de l'océan dans ce pays lointain. Il y avait là-bas une lande de sable infini, qui ne semblait appartenir à personne. On y voyait errer des tourbillons de poussière et des bandes de chiens jaunes en quête d'une ombre où dormir.
Le delta d'une rivière, loin derrière, faisait arriver de petits canaux d'eau douce qui semblait dorée. Et cette eau s'en allait calme, presque immobile vers la ligne des vagues.
Celle-ci, on la voyait très fine au loin, en tournant le dos à la terre. La ligne bleu barrait le ciel et on y percevait les reflets de l'écume qui venait former comme de la neige carbonique sur le déclin de la plage.
On avait décidé de s'y retrouver.
C'était là que ça allait arriver.
C'était là qu'on allait cesser de parler.
Tous étaient venus sur la plage, et quand tout le monde avait été là, on avait décidé de célébrer. Heureux d'être tous rassemblés, d'êtres si proches de commencer, enfin.
On avait fait un grand feu avec des débris de tempête, on avait fait à manger et joué de la musique.
Et tout le monde s’était exclamé et avait ri et parce qu'on était saoul, on avait chanté très fort et un peu faux et on s'était moqué et on avait proféré des promesses.
Peut-être même qu'on s'était trompé.
Que c'était bien de parler, au final.
Mais ce n'était pas très important à ce moment là parce qu'on pouvait s'enfuir du feu et essoufflé par la course, plonger dans les vagues.
Et puis aller se cacher dans les dunes.
Et cette fois parler tout bas.
Quand le jour était venu, parce qu'on n'avait pas vraiment sommeil, on s'était assis en rond dans le sable.
Il y avait dans le cercle des visages très différents. Différentes étaient aussi les raisons qui les avaient fait s'accorder.
Il y avait un homme assez jeune, qui avait fait l'armée et qui avait vu des choses horribles.
C'était depuis ce moment qu'il avait cette idée, il disait.
Il y en avait d'autres des traumatisés, cette fois par des événements bien ordinaires. Tous aillant en commun cette brisure nette dans la trajectoire de leurs existences.
Il y avait aussi celui-la qui souffrait de migraines phasiques. Comme au moment de ses crises il ne pouvait plus supporter la lumière du jour, il portait toujours à son front un masque de ski.
Il y avait tous les autres pour qui s'était venu peu à peu. Ceux qui perdaient le fil de la partie aux jeux brutaux des hommes. Les bipolaires. Les dépressifs qui avaient tous dans leurs affaires un sac en plastique plain de ses réponses chimiques auxquelles croyaient
les spécialistes.
Enfin, il y en avait d'autres, qui ne souffraient de rien et auxquels ils n'étaient peut-être rien arrivé d'autre que d'avoir trop eu de temps à eux pour penser au milieu du brouhaha du monde. Usés par un besoin de sens qu'aucune réponse ne pouvait satisfaire, ils avaient
erré un moment parmi les myriades des possible occidentales, essayé plusieurs philosophie, raté une école d'art et avaient tenté de semer leurs angoisses en fuyant à l'autre bout du monde avant d'arriver ici. Peut-être étaient-ils finalement arrivés quelque part, ce qui pour eux voulait dire Rejoindre plutôt que s'échapper.
Aussi confus qu'eussent été leurs explications, au moins amenaient-ils un certain optimisme à l'assemblée.
Entre tous ceux-là était assis le plus vieux du groupe. Il ne semblait rien porter d'autre qu'une robe d'été aux couleurs passée trouvée dans dieu sait quel dispensaire du secours catholique. La tignasse du vieil homme se mêlait à sa barbe blanche et il riait à n'importe quoi, sauf quand on lui demanda ce qu'il faisait ici.
Soudain très grave, il avait répondu qu'un jour il avait aperçu le néant qui était au-delà de chaque chose. Il avait fixé le néant, et alors c'était le néant qui avait regardé en lui.
Aussi hétéroclite que l'assemblée était ce qu'on avait amené ici, ne sachant pas trop ce qu'on allait y faire ni combien de temps on resterai. Alors on avait monté des abris de fortunes à l'ombre des quels les chiens s'étaient rassemblés, relevant parfois la tête pour
observer les allers-et venues des humains. On ne sait qui avait amené un frigo autour duquel étaient entassés des quantités de cartons de nourriture, des bidons d'eau potable et un canot gonflable. Quelques vélos étaient appuyés à un tas de bois flotté qu'on avait ramassé pour le feu. On avait tendu des tentures pour protéger les tentes du soleil, aménagé des toilettes dans le sable et même un vieux groupe électrogène avait été amené. Mais il n'avais pas semblé vouloir démarrer.
Et puis il y avait aussi une bouée en forme de flamant rose sur laquelle le vieux avait décidé de s'asseoir pour le débat qui allait commencer.
Il fallait effectivement tomber d'accord sur ce qu'on allait faire.
Pour cela on avait beaucoup parlé.
Ça avait duré longtemps et certains s'étaient endormis pendant que d'autres prenaient la parole, alors il avait fallu leurs raconter quant ils s'étaient réveillés.
On n'avait pas été d'accord, alors on avait argumenté, se coupant la parole. On avait dit qu'il faudrait une règle pour qu'il n'y ait qu'une personne qui puisse prendre la parole à la fois, mais on avait trouvé qu'on était au dessus-de ça. Il faudrait juste tacher de se
comporter avec respect.
On s'était dit que pour commencer, il faudrait écrire une sorte de manifeste, pour que les gens sachent pourquoi on avait fait ça. Sur le coup ça avait semblé être une bonne idée alors on avait beaucoup parlé de ce qu'on pourrait mettre dans ce manifeste.
Le soir venu, on s'était dit que ce serai peut-être bien d'éviter de faire un manifeste trop orienté politiquement.
On avait continué à parler.
Tard dans la nuit, on s'était ensuite dit que au final ce n'était peut-être pas une très bonne idée, un manifeste de la part de gens qui décidaient de s'arrêter de parler. Certains n'avait pas été d'accord, mais on avait quand même décidé de revenir là-dessus plus tard.
Quelqu'un avait proposé qu'on aborde la question d'un habit qu'on pourrait porter tous et qui puisse nous définir. Il y avait eu un silence et puis on avait dit que ça aussi, on y reviendrait plus tard.
Plus tard, on avait proposé d'autres choses, on avait dit qu'il faudrait quelqu'un pour représenter le groupe, quelqu'un dont on puisse compter sur le jugement.
On avait fait des élections, ça avait prit plus de temps que prévu parce qu'on n’était pas tous d'accord sur la méthode. Certains proposaient plusieurs tours de scrutins ou chacun voterai pour un candidat avec élimination successive des scores les plus faibles. Certain proposèrent un scrutin anonyme, certains dirent qu'on s'en foutait, que c'était des détails et d'autres dirent enfin que le meilleur modèle de scrutin était que chacun remplisse anonymement une liste des candidats qu'ils préférerait voir élu en ordre croissant ou
décroissant.
On s'était dit qu'à main levée, c'était très bien.
Finalement, celui qui avait été élu avait dit qu'il ne croyait pas vraiment qu'un chef, ce soit bien.
Alors on avait changé d'organisation.
Et c'était déjà le matin depuis longtemps.
Le jour d'après, on avait recommencé à discuter.
Certains avaient dit qu'il fallait écrire des règles.
Des règles pour quoi on avait demandé ? Pour que les gens ne fassent pas n'importe quoi avec le temps. Pour qu'on n'oublie pas ce qui est vraiment important ici.
D'autres avaient dit que les règles c'étaient pour les imbéciles.
On n'avait pas été d'accord.
On s'était levé, on avait dit des choses qu'on ne pensait pas.
Il avait commencé à être difficile de s'entendre parler, et puis finalement on s'était dit qu'il fallait se calmer un peu.
Quelqu'un avait émit l'idée qui si on n'écrivait pas de règles, au moins, il faudrait instaurer des sortes de rituels pour entretenir le feu et se rappeler.
«Entretenir le feu ?»
On avait répondu que c'était une métaphore, mais en même temps un feu ça pourrait être bien, un feu sacré au centre de la communauté qu'il faudrait toujours entretenir.
«Un feu sacré ?»
Oui, ça ou autre chose. Les rituels, c'était important dans un groupe et puis ça faisait plus sérieux.
On avait encore parlé longtemps à ce sujet.
A un moment pendant le débat, celui qui avait un masque de ski s'était levé et avait dit qu'il en avait marre, que ça faisait trois jours qu'il avait mal au crane avec tout ça.
Il était sorti du cercle et on l'avait vu s'éloigner vers la ligne des vagues.
Le minuscule point noir de sa silhouette s'était maintenue longtemps devant l'horizon pour finir comme happée dans les reflets mouvants.
Il avait marché longtemps en suivant les vagues, donnant parfois des coups de pieds dans l'écumes que le vent happait automatiquement et faisait rouler sur le sable jusqu'à disparition.
Il s'était rendu compte que des chiens le suivaient, ça l'avait inquité au début, mais les animaux semblaient juste curieux.
Plus tard, alors que la lumière baissait, il était arrivé au pieds de haut rochers qui se terminaient dans l'océan. Il y avait une caverne au milieu, au fond de laquelle les tempêtes avaient jetés toutes sortes de débris.
Il s'était assis dans la fraîcheur de la pierre et les chiens étaient venus à côté de lui.
Et comme sa migraine s'en allait, il avait eu une idée.
Plus tard, dans la nuit, il était discrètement revenu au camp prendre de la peinture.
Pendant ce temps là autour du cercle, on était tombé d'accord pour dire qu'on aborderai de nouveau le sujet des rituels, mais plus tard.
Ensuite on avait essayé de dormir, mais personne n'avait vraiment réussi.
On avait recommencé tôt en se disant qu'il faudrait trouver un moyen de faire du vrai café.
Et puis on avait passé une nouvelle journée à parler, pour arriver à la confirmation que non, ce n'était pas une bonne idée de faire un blog.
Mais au milieu de toutes ces paroles, l'attention avait peu à peu dévié, chacun semblant plongé dans ses pensées, se disant peut-être qu'au fond il n'était pas à sa place ici non plus. Peut-être s'étaient-il trompé d'endroit, encore.
Et que tous ces visages familiers autours de lui appartenaient eux aussi à des étrangers.
Comme tout le monde.
A un moment on avait été interrompu par des bruits de moteurs, et la lumière de phares avaient forcé à se protéger les yeux.
Trois voitures s'étaient garées en trombes, encerclant le campement, est beaucoup de gens en étaient sortis. Trop de gens pour trois voitures.
Leurs silhouettes s'étaient approchés dans la lumière aveuglantes et le feu avait éclairé leurs visages.
Certains avaient des bâtons.
Ils s'étaient mis à crier et montrant les affaires du doigt et on avait mi du temps à trouver quelqu'un pour traduire.
C'était les gens d'ici, ils ne savait pas qui on étaient, ils ne voulaient pas savoir et voulaient qu'on parte. Il n'y avaient pas beaucoup d'étrangers dans cette région, et ceux qui
passaient avaient mauvaise réputation.
On avait essayé d'expliquer que c'était différent, qu'on allait vivre ici sans embêter personne. Les cris avaient continués et les mains tenant les bâtons s'étaient levées.
Puis ils avaient poussés les deux qui parlaient le mieux anglais à l'arrière d'une voiture et étaient partis comme ils étaient venus.
Tout le monde était resté un peu hagard pendant un moment, puis on avait décidé de téléphoner à l’ambassade Là encore on s'était fait engueuler, d'être venu ici sans prévenir personne d’ici ou des locaux. On leurs dit qu'effectivement ils feraient mieux de partir dès
demain. On avait dit qu'il y en avait deux qui avaient été embarqués.
On avait dit qu'on les rappellerait.
Ça n'avait pas été la peine. Le lendemain dans l'après-midi, les deux autres avaient été ramené. On ne leurs avait rien fait, seulement mis à l'écart pour discuter. Ils avaient eu le temps d'expliquer plus longuement ce qu'ils étaient venu faire et ça avait semblé rassurer les gens. Ils disaient qu'on acceptait qu'ils restent si ils achetaient le terrain. De toute façon, l'endroit n'intéressait pas vraiment les gens d'ici à cause des marais derrière où il y avait la dengue et la malaria.
On demanda si un prix avait été proposé, la réponse laissa tout le monde silencieux pendant un moment. On avait un peu de temps pour choisir de toute façon, avant que les gens ne reviennent avec un avocat et les papiers.
Quelqu'un demandait si on pensait que ce terrain appartenait vraiment à quelqu'un pour qu'on propose de le leurs vendre.
Personne n'avait répondu.
Quelqu’un d’autre avait demandé ce que ça voulait dire « un peu de temps pour choisir ».
Personne ne savait.
On avait demandé si quelqu’un était au courant pour la dengue et la malaria.
Pas de réponse non plus.
Les débats avaient repris, cette fois emprunt de panique. Maintenant, il fallait avant tout savoir si on restait ou pas. Certains avait dit que c'était une bonne nouvelle, après ça on aurait enfin un endroit à soi. On leurs avait répondu qu'ils disaient ça parce que eux ils
avaient assez d'argent pour payer leurs part. Tout le monde avait parlé en même temps, et il fallait crier pour se faire entendre. Il y en avait un qui s'était mi à crier plus fort que les autres, il avait traité les autres d'imbéciles.
Et que tout ce qu'on faisait là était absurde.
«Mais réveillez-vous ! Réveillez-vous ! Vous voyez pas qu'on tourne en rond comme des cons.
Maintenant on va être expulsés et jusqu'à là on a juste perdu notre temps à enculer les mouches. Tout ça parce que personne ici n'a eu le courage de commencer à se taire.»
On lui avait répondu qu'il pouvait commencer s'il voulait, ça ferai des vacances à tout le monde.
Alors celui qui criait avait répondu à l'autre quelque-chose de personnel, et les deux s'étaient jetés dessus et avaient roulé dans le sable.
On s'était levé et on avait essayé de les calmer.
Et sans qu'on sache trop pourquoi, tout le monde avait fini par se battre.
Le visage rouge. Du sable dans les yeux. Une voix étranglée traitant un autre de fasciste.
Une main arrachant une chemise avant que tous deux trébuchent et roulent au sol, jusque dans les éclaboussures des vagues.
Une main agrippant un visage, une mâchoire se refermant sur un doigt.
Quelqu'un toussant de toute ses force à cause de l'eau salée qu'il avait avalé.
Un autre agenouillé en pleurant, enfin tenant ses lunettes de vue brisées.
Autour de lui la mêlée ne fait pas attention à lui.
Chacun si loin de lui-même à cet instant, qu'aucun n'avait vu le ciel devenir sombre.
Et tout les signes autour qui annonçaient le typhon.
Le vent s'était levé d'un coup, giflant la peau de sable qui rentrait dans la bouche quand ils essayaient de parler.
Le vent interrompu les cris et souffla le feu et les bourrasques démantelèrent les abris de fortunes et emportèrent en quelques secondes les tentes, les vélos, les cartons nourriture,
le bois pour le feu, le frigos,le canot pneumatique, les toilettes, la bouée en forme de flamant rose et toutes les affaires personnelles enfin où se trouvaient antidépresseurs, téléphones portables et le précieux argent pour payer le terrain.
Tour le monde se mit à courir dans tous les sens, essayant de retenir ce qu'ils pouvaient.
Et puis la pluie s'était abattue.
Une pluie si danse qu'elle cachait la vue, tiède, coulant si fort sur le visage qu'il fallait fermer les yeux.
Cette fois on couru pour chercher un abri.
Mais comme il n'y avait rien que du sable partout à la ronde, ils finirent serrés les uns contre les autres sous un arbre.
Muets et grelottants.
La nuit était passée comme ça.
Et puis le jour d'après aussi.
Parfois on croyait que ça allait se calmer, mais au final il semblait plutôt que la tempête ne cessait pas d'empirer.
Et tous, hébétés, pensaient entendre à travers ce hurlement infini comme une vaste désapprobation que le monde semblait leurs réserver.
Ils étaient restés comme ça, blottis les uns contre les autres, sans même savoir qui était à côté, seulement préoccupés de retenir la chaleur.
La pensée s'était égarée pendant des heures à travers d'étranges délires, cherchant le sommeil que le froid chassait aussitôt. Et puis peu à peu, ce hurlement venant de partout à la fois et ces trombes glacées, tout ça avait recouvert dans leurs tête la confusion de
leurs échanges.
Tous ces discours contradictoires, mal-interprétés, incompréhensibles dans lesquels étaient venu errer leur passion.
Tout ça fut un instant encore incertain, un reflet trouble à travers une vitre embuée.
Puis tout disparut complètement, remplacé par le vacarme du monde.
Ce vacarme qui ressemblait maintenant à un silence infini.
Le silence qui avait précédé le premier mot du premier homme, et qui suivrait le dernier.
Au deuxième matin, la pluie avait cessé.
Le vent avait baissé à son tour, pour ne plus souffler que par bourrasques irrégulières.
Un jour encore et la lumière avait percé le plafond de nuages, venant se poser sur leurs peaux glacés.
On aurait dit que le monde était neuf.
Ils errèrent un moment au hasard, d’un pas incertain et raide, les bras encore serrés contre le ventre.
Et puis le sable sécha tout-à-fait.
Et on s'endormit au soleil.
On traînait quelque chose sur le sable.
Les autres ouvrirent les yeux.
C'était le vieux qui ramenait des affaires que le vent avait soufflé.
Et la traînée dans le sable, derrière-lui s'étirait de très loin, se perdant dans les dunes.
Il jeta tout sans ménagement sur un tas qu'il avait commencé aux voyages précédents.
Et cette fois il reparti vers les vagues.
Il ramena ramena plus tard un fagot de longues branches de bois flotté, blancs comme des ossements, des tronçons de cordes qui semblaient avoir été mâchés par la mer, et plein d'autres débris que les courants avaient ramené.
Sur la tête il portait ce qu'il restait d'un casque de moto. Le casque avait du dériver suffisamment longtemps pour que le soleil et le sel l'ait totalement blanchit et que les coraux s'y accrochent.
Combien d’années ça avait pu prendre ?
Après encore quelques voyages, il attacha ensemble plusieurs morceaux de bois en un long mat instable qu'il planta dans le sable.
Il recommença.
Cette fois, on vint l'aider.
Bientôt, il y avait eu plein d'autres mats semblables dressés sur la lande.
Comme les vestiges d'une très ancienne forêt qui aurait été engloutie par les eaux.
Et aux sommets se balançaient au vent des lambeaux de plastiques usés ou des bouts de tissu.
On avait laissé pendre dans le vide tout un tas de bouteilles et d'éclats de verre qui s'entrechoquaient dans les bourrasques en même temps qu'on entendait craquer le bois et les liens.
On ne s’était pas arrêté là.
Quand la forêt squelette avait été terminée, on avait dressé au milieu un édifice beaucoup plus haut, fait de mats assemblés.
Au sommet on avait construit une éolienne dont les pâles étaient faites de débris de verre et de miroirs. la roue projetait au sol des reflets mouvants de couleurs indéfinissables qui
naissaient et mouraient dans les replis du sable.
Face à la mer, on avait dressé de grandes voiles faites de couvertures de survie. Les bannières dorée et argent se froissaient et claquaient dans le vent en passant devant la lumière du soleil. Les voiles rejetaient de grandes ombres qui s'agrandissaient en fin
d'après-midi, chevauchant les éclats de centaines d’œils de verre des bouteilles
suspendues.
On avait aussi construit plusieurs planchers rudimentaires au dessus du sol, on tendit pardessus de grandes toiles, faites du restes des tissus qu'on avait pu retrouver. On avait maintenant un endroit pour dormir et s’abriter du soleil ou de la pluie.
Il n'y avait plus eu de cordes, alors on avait commencé à créer des liens avec des lambeaux de chemises et de vêtements de chacun.
Quand enfin on avait manqué de matériaux pour construire de nouvelles choses, on avait commencé à sculpter le bois. Bientôt, les piliers des édifices avaient été peuplés de visages et de scènes fantastiques.
A un moment, une silhouette était apparue, très loin, se détachant de la ligne des vagues et était venu vers eux. C'était le migraineux qui revenait, son masque de ski sur les yeux,
le corps entier et la chevelure couvert de traces de peintures.
Il s'arrêta à l'entrée du le palais et son regard monta jusqu'au sommet des architectures pour redescendre lentement vers le groupe qui commençait à se rassembler en face de lui.
Il était de retour.
On aurait dit qu'ils avaient du mal à se reconnaître, tous.
Ça dura un temps puis un grand sourire apparu sur le visage plein de peinture, découvrant l'entièreté d'une dentitions que la couleur n'avait pas épargné.
Plus tard, à la nuit tombée, on irai jusqu'à la grotte pour y pénétrer, éclairé de lampes et de torches. La fissure s'en allait au cœur du rocher, et sur ses parois, partout où on pouvait
lever la tête courait une grande fresque ininterrompue. Des images naïves se chevauchant, partant dans toutes les directions retraçaient quelque chose qui aurait pu être l'histoire connue du genre sapiens depuis son apparition jusqu'à ce que celle-ci se
détache de la parole et vive en paix. Mais il était aussi très probable que la peinture représente un monde de science-fiction où une espèce devenue sage parte à la conquête de son système solaire, puis des étoiles aux alentours. On aurait aussi pu y lire comme
une tentative malhabile de prophétie, annonçant la chute d'une civilisation au sommet de sa gloire.
On s’endormit dans la grotte, le visage tourné vers le plafond, laissant les torches finir de se consumer pour observer plus longtemps les images.
Certaines images deviendraient des rêves, peut-être, que la nuit chasserai de la mémoire.
On avait continué un peu le palais, utilisant ce qu'il restait de peinture et puis enfin on avait pausé le casque de moto sur un poteau. Ce serait la tombe de l'astronaute anonyme. Et quand la mosaïque de coquillage qui devait orner la sépulture fut finie. A ce moment là il
avait semblé que c'était bien.
On avait terminé.
Plus tard, un nouveau typhon balayerai tout, ou les gens d'ici reviendraient et les forceraient à partir à moins que ce ne soit les provisions dont on manquerai bientôt. mais en attendant, il semblait que ce qui était important avait été fait.
Quoi exactement ?
Personne ne l'avait vraiment formulé, parce qu'on avait arrêté de parler.
C'était arrivé sans que personne ne s'en rende compte.
Mais il avait semblé à ce moment là que personne n'ai trouvé à y redire.
C'était bien comme ça.
Ou peut-être que tout ce qui était important avait été dit.
Ou qu'au contraire, on s'était enfin fait une raison sur ce qui était important à dire.
Alors sur un rivage éclatant de lumière on avait dressé le palais de poussière, fait de ce qui, comme eux, avait échoué ici.
Ramené par les puissants courants off-shore qui traversaient le monde.

Castawaycore

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Aesthetics of the end of the world

//multi-media creations

2019 - 2025

/installations

/text

/drawing

/short film

Castawaycore or “Shipwrecked Art” is an artistic research initiated by Xavier Prevot in 2018, born of the encounter between a work in Arte povera inspired by Chris Marker's Junkopia and repeated geographical transitions between the heart of urban centers and marine debris stranding sites. These early forms took shape in a literary short story, a thirty-meter fresco, theatrical fictions and installations on deserted beaches in India. Beyond these creations, Castawaycore takes the form of an aesthetic and a thought resurgent through all Xavier Prevot's work.

"Jean Tinguely. - Niki look. The end of the world

Niki de Saint Phalle. - Boom !"

~ Nevada desert

At once methodical, serious and derisory, Castawaycore dreams of being the ultimate trend fashion in the line of Metalcore, Fairycore, Gorpcore and a thousand others. As in this case, the combination of a key word followed by the term referring to the desire to get to the “ core ” of something transforms two words into a magic formula, the key to an imagery, a language, a way of looking at the world. To look at Castawaycore is to enter by thought into the heart of what the desire to be shipwrecked signifies. It is a deliberate fetishistic act celebrating creation as resistance in the face of adversity, no longer as a struggle, but as reconciliation in the process of building in listening to its precarious, transitory forms.

Like a shipwreck, finding oneself on the margins of society is most often an event beyond one's control. Usually it is a personal cataclysm, unless, precisely, the act is voluntary. Castawaycore is an act of voluntary shipwreck, made possible - necessary? - by the fact that it is placed in the hands of a white, middle-class Western individual. This act combines the fantasized prospect of destitution in a paradisiacal elsewhere with the omnipresent reality of personal and collective wreckage at the heart of the world.

In a shipwreck situation, everything superfluous disappears, making way for a minimalist yet meaningful aesthetic. Castawaycore attempts to break with capitalist aesthetic canons by collecting the surplus, or refuse, rejected by a society of abundance. Finally, it is about inventing a common imaginary, necessary for the transition from a state of stupefaction to the setting in motion of other ways of thinking the world together.

But above all, Castawaycore is a joyful act. It is a celebration of an apocalypse that will not happen. Or rather, is already happening, every minute and every second since the first debris fire lit by a Homo erecturs a very long time ago.

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Comment on avait construit le Palais de poussière


*


Un jour un homme avait voulu cesser de parler.
Vivre dans le silence parmi ses semblables.
Il y avait beaucoup pensé.
Longtemps après, il en avait rencontré d'autres comme lui.
Par hasard.
Ou peut-être que ça devait arriver.
Comme les grands courants off-shore ramènent les objets dérivant en un même tourbillon.
Puis qu'ils étaient loin les uns des autres, ils avaient longtemps parlé sur les réseaux.
Ils avaient appris à ce connaître et avaient partagé leurs idées.
Et pendant un temps, ce fil de dialogue qui se déroulait à l’infini, ce langage qu’ils désiraient quitter les avaient si fortement relié chacun. Chacun nageant dans un océan de Bits lumineux, loin d’un corps voûté sur la lueur de l'écran dans un meublé silencieux.
Dehors pendant ce temps, la nuit engloutissait les contours d'une lointaine banlieue.
On s'était dit qu'on allait le faire.
Enfin.
On allait cesser de parler.
Et si on avait tous été d'accord sur ce point, le bruit qui s'en était suivi avait redoublé.
Longtemps après, beaucoup avaient quitté le groupe.
Par dépit.
Et on avait un peu cessé d'y croire quand quelqu'un avait enfin trouvé un lieu.
C'était au bord de l'océan dans ce pays lointain. Il y avait là-bas une lande de sable infini, qui ne semblait appartenir à personne. On y voyait errer des tourbillons de poussière et des bandes de chiens jaunes en quête d'une ombre où dormir.
Le delta d'une rivière, loin derrière, faisait arriver de petits canaux d'eau douce qui semblait dorée. Et cette eau s'en allait calme, presque immobile vers la ligne des vagues.
Celle-ci, on la voyait très fine au loin, en tournant le dos à la terre. La ligne bleu barrait le ciel et on y percevait les reflets de l'écume qui venait former comme de la neige carbonique sur le déclin de la plage.
On avait décidé de s'y retrouver.
C'était là que ça allait arriver.
C'était là qu'on allait cesser de parler.
Tous étaient venus sur la plage, et quand tout le monde avait été là, on avait décidé de célébrer. Heureux d'être tous rassemblés, d'êtres si proches de commencer, enfin.
On avait fait un grand feu avec des débris de tempête, on avait fait à manger et joué de la musique.
Et tout le monde s’était exclamé et avait ri et parce qu'on était saoul, on avait chanté très fort et un peu faux et on s'était moqué et on avait proféré des promesses.
Peut-être même qu'on s'était trompé.
Que c'était bien de parler, au final.
Mais ce n'était pas très important à ce moment là parce qu'on pouvait s'enfuir du feu et essoufflé par la course, plonger dans les vagues.
Et puis aller se cacher dans les dunes.
Et cette fois parler tout bas.
Quand le jour était venu, parce qu'on n'avait pas vraiment sommeil, on s'était assis en rond dans le sable.
Il y avait dans le cercle des visages très différents. Différentes étaient aussi les raisons qui les avaient fait s'accorder.
Il y avait un homme assez jeune, qui avait fait l'armée et qui avait vu des choses horribles.
C'était depuis ce moment qu'il avait cette idée, il disait.
Il y en avait d'autres des traumatisés, cette fois par des événements bien ordinaires. Tous aillant en commun cette brisure nette dans la trajectoire de leurs existences.
Il y avait aussi celui-la qui souffrait de migraines phasiques. Comme au moment de ses crises il ne pouvait plus supporter la lumière du jour, il portait toujours à son front un masque de ski.
Il y avait tous les autres pour qui s'était venu peu à peu. Ceux qui perdaient le fil de la partie aux jeux brutaux des hommes. Les bipolaires. Les dépressifs qui avaient tous dans leurs affaires un sac en plastique plain de ses réponses chimiques auxquelles croyaient
les spécialistes.
Enfin, il y en avait d'autres, qui ne souffraient de rien et auxquels ils n'étaient peut-être rien arrivé d'autre que d'avoir trop eu de temps à eux pour penser au milieu du brouhaha du monde. Usés par un besoin de sens qu'aucune réponse ne pouvait satisfaire, ils avaient
erré un moment parmi les myriades des possible occidentales, essayé plusieurs philosophie, raté une école d'art et avaient tenté de semer leurs angoisses en fuyant à l'autre bout du monde avant d'arriver ici. Peut-être étaient-ils finalement arrivés quelque part, ce qui pour eux voulait dire Rejoindre plutôt que s'échapper.
Aussi confus qu'eussent été leurs explications, au moins amenaient-ils un certain optimisme à l'assemblée.
Entre tous ceux-là était assis le plus vieux du groupe. Il ne semblait rien porter d'autre qu'une robe d'été aux couleurs passée trouvée dans dieu sait quel dispensaire du secours catholique. La tignasse du vieil homme se mêlait à sa barbe blanche et il riait à n'importe quoi, sauf quand on lui demanda ce qu'il faisait ici.
Soudain très grave, il avait répondu qu'un jour il avait aperçu le néant qui était au-delà de chaque chose. Il avait fixé le néant, et alors c'était le néant qui avait regardé en lui.
Aussi hétéroclite que l'assemblée était ce qu'on avait amené ici, ne sachant pas trop ce qu'on allait y faire ni combien de temps on resterai. Alors on avait monté des abris de fortunes à l'ombre des quels les chiens s'étaient rassemblés, relevant parfois la tête pour
observer les allers-et venues des humains. On ne sait qui avait amené un frigo autour duquel étaient entassés des quantités de cartons de nourriture, des bidons d'eau potable et un canot gonflable. Quelques vélos étaient appuyés à un tas de bois flotté qu'on avait ramassé pour le feu. On avait tendu des tentures pour protéger les tentes du soleil, aménagé des toilettes dans le sable et même un vieux groupe électrogène avait été amené. Mais il n'avais pas semblé vouloir démarrer.
Et puis il y avait aussi une bouée en forme de flamant rose sur laquelle le vieux avait décidé de s'asseoir pour le débat qui allait commencer.
Il fallait effectivement tomber d'accord sur ce qu'on allait faire.
Pour cela on avait beaucoup parlé.
Ça avait duré longtemps et certains s'étaient endormis pendant que d'autres prenaient la parole, alors il avait fallu leurs raconter quant ils s'étaient réveillés.
On n'avait pas été d'accord, alors on avait argumenté, se coupant la parole. On avait dit qu'il faudrait une règle pour qu'il n'y ait qu'une personne qui puisse prendre la parole à la fois, mais on avait trouvé qu'on était au dessus-de ça. Il faudrait juste tacher de se
comporter avec respect.
On s'était dit que pour commencer, il faudrait écrire une sorte de manifeste, pour que les gens sachent pourquoi on avait fait ça. Sur le coup ça avait semblé être une bonne idée alors on avait beaucoup parlé de ce qu'on pourrait mettre dans ce manifeste.
Le soir venu, on s'était dit que ce serai peut-être bien d'éviter de faire un manifeste trop orienté politiquement.
On avait continué à parler.
Tard dans la nuit, on s'était ensuite dit que au final ce n'était peut-être pas une très bonne idée, un manifeste de la part de gens qui décidaient de s'arrêter de parler. Certains n'avait pas été d'accord, mais on avait quand même décidé de revenir là-dessus plus tard.
Quelqu'un avait proposé qu'on aborde la question d'un habit qu'on pourrait porter tous et qui puisse nous définir. Il y avait eu un silence et puis on avait dit que ça aussi, on y reviendrait plus tard.
Plus tard, on avait proposé d'autres choses, on avait dit qu'il faudrait quelqu'un pour représenter le groupe, quelqu'un dont on puisse compter sur le jugement.
On avait fait des élections, ça avait prit plus de temps que prévu parce qu'on n’était pas tous d'accord sur la méthode. Certains proposaient plusieurs tours de scrutins ou chacun voterai pour un candidat avec élimination successive des scores les plus faibles. Certain proposèrent un scrutin anonyme, certains dirent qu'on s'en foutait, que c'était des détails et d'autres dirent enfin que le meilleur modèle de scrutin était que chacun remplisse anonymement une liste des candidats qu'ils préférerait voir élu en ordre croissant ou
décroissant.
On s'était dit qu'à main levée, c'était très bien.
Finalement, celui qui avait été élu avait dit qu'il ne croyait pas vraiment qu'un chef, ce soit bien.
Alors on avait changé d'organisation.
Et c'était déjà le matin depuis longtemps.
Le jour d'après, on avait recommencé à discuter.
Certains avaient dit qu'il fallait écrire des règles.
Des règles pour quoi on avait demandé ? Pour que les gens ne fassent pas n'importe quoi avec le temps. Pour qu'on n'oublie pas ce qui est vraiment important ici.
D'autres avaient dit que les règles c'étaient pour les imbéciles.
On n'avait pas été d'accord.
On s'était levé, on avait dit des choses qu'on ne pensait pas.
Il avait commencé à être difficile de s'entendre parler, et puis finalement on s'était dit qu'il fallait se calmer un peu.
Quelqu'un avait émit l'idée qui si on n'écrivait pas de règles, au moins, il faudrait instaurer des sortes de rituels pour entretenir le feu et se rappeler.
«Entretenir le feu ?»
On avait répondu que c'était une métaphore, mais en même temps un feu ça pourrait être bien, un feu sacré au centre de la communauté qu'il faudrait toujours entretenir.
«Un feu sacré ?»
Oui, ça ou autre chose. Les rituels, c'était important dans un groupe et puis ça faisait plus sérieux.
On avait encore parlé longtemps à ce sujet.
A un moment pendant le débat, celui qui avait un masque de ski s'était levé et avait dit qu'il en avait marre, que ça faisait trois jours qu'il avait mal au crane avec tout ça.
Il était sorti du cercle et on l'avait vu s'éloigner vers la ligne des vagues.
Le minuscule point noir de sa silhouette s'était maintenue longtemps devant l'horizon pour finir comme happée dans les reflets mouvants.
Il avait marché longtemps en suivant les vagues, donnant parfois des coups de pieds dans l'écumes que le vent happait automatiquement et faisait rouler sur le sable jusqu'à disparition.
Il s'était rendu compte que des chiens le suivaient, ça l'avait inquité au début, mais les animaux semblaient juste curieux.
Plus tard, alors que la lumière baissait, il était arrivé au pieds de haut rochers qui se terminaient dans l'océan. Il y avait une caverne au milieu, au fond de laquelle les tempêtes avaient jetés toutes sortes de débris.
Il s'était assis dans la fraîcheur de la pierre et les chiens étaient venus à côté de lui.
Et comme sa migraine s'en allait, il avait eu une idée.
Plus tard, dans la nuit, il était discrètement revenu au camp prendre de la peinture.
Pendant ce temps là autour du cercle, on était tombé d'accord pour dire qu'on aborderai de nouveau le sujet des rituels, mais plus tard.
Ensuite on avait essayé de dormir, mais personne n'avait vraiment réussi.
On avait recommencé tôt en se disant qu'il faudrait trouver un moyen de faire du vrai café.
Et puis on avait passé une nouvelle journée à parler, pour arriver à la confirmation que non, ce n'était pas une bonne idée de faire un blog.
Mais au milieu de toutes ces paroles, l'attention avait peu à peu dévié, chacun semblant plongé dans ses pensées, se disant peut-être qu'au fond il n'était pas à sa place ici non plus. Peut-être s'étaient-il trompé d'endroit, encore.
Et que tous ces visages familiers autours de lui appartenaient eux aussi à des étrangers.
Comme tout le monde.
A un moment on avait été interrompu par des bruits de moteurs, et la lumière de phares avaient forcé à se protéger les yeux.
Trois voitures s'étaient garées en trombes, encerclant le campement, est beaucoup de gens en étaient sortis. Trop de gens pour trois voitures.
Leurs silhouettes s'étaient approchés dans la lumière aveuglantes et le feu avait éclairé leurs visages.
Certains avaient des bâtons.
Ils s'étaient mis à crier et montrant les affaires du doigt et on avait mi du temps à trouver quelqu'un pour traduire.
C'était les gens d'ici, ils ne savait pas qui on étaient, ils ne voulaient pas savoir et voulaient qu'on parte. Il n'y avaient pas beaucoup d'étrangers dans cette région, et ceux qui
passaient avaient mauvaise réputation.
On avait essayé d'expliquer que c'était différent, qu'on allait vivre ici sans embêter personne. Les cris avaient continués et les mains tenant les bâtons s'étaient levées.
Puis ils avaient poussés les deux qui parlaient le mieux anglais à l'arrière d'une voiture et étaient partis comme ils étaient venus.
Tout le monde était resté un peu hagard pendant un moment, puis on avait décidé de téléphoner à l’ambassade Là encore on s'était fait engueuler, d'être venu ici sans prévenir personne d’ici ou des locaux. On leurs dit qu'effectivement ils feraient mieux de partir dès
demain. On avait dit qu'il y en avait deux qui avaient été embarqués.
On avait dit qu'on les rappellerait.
Ça n'avait pas été la peine. Le lendemain dans l'après-midi, les deux autres avaient été ramené. On ne leurs avait rien fait, seulement mis à l'écart pour discuter. Ils avaient eu le temps d'expliquer plus longuement ce qu'ils étaient venu faire et ça avait semblé rassurer les gens. Ils disaient qu'on acceptait qu'ils restent si ils achetaient le terrain. De toute façon, l'endroit n'intéressait pas vraiment les gens d'ici à cause des marais derrière où il y avait la dengue et la malaria.
On demanda si un prix avait été proposé, la réponse laissa tout le monde silencieux pendant un moment. On avait un peu de temps pour choisir de toute façon, avant que les gens ne reviennent avec un avocat et les papiers.
Quelqu'un demandait si on pensait que ce terrain appartenait vraiment à quelqu'un pour qu'on propose de le leurs vendre.
Personne n'avait répondu.
Quelqu’un d’autre avait demandé ce que ça voulait dire « un peu de temps pour choisir ».
Personne ne savait.
On avait demandé si quelqu’un était au courant pour la dengue et la malaria.
Pas de réponse non plus.
Les débats avaient repris, cette fois emprunt de panique. Maintenant, il fallait avant tout savoir si on restait ou pas. Certains avait dit que c'était une bonne nouvelle, après ça on aurait enfin un endroit à soi. On leurs avait répondu qu'ils disaient ça parce que eux ils
avaient assez d'argent pour payer leurs part. Tout le monde avait parlé en même temps, et il fallait crier pour se faire entendre. Il y en avait un qui s'était mi à crier plus fort que les autres, il avait traité les autres d'imbéciles.
Et que tout ce qu'on faisait là était absurde.
«Mais réveillez-vous ! Réveillez-vous ! Vous voyez pas qu'on tourne en rond comme des cons.
Maintenant on va être expulsés et jusqu'à là on a juste perdu notre temps à enculer les mouches. Tout ça parce que personne ici n'a eu le courage de commencer à se taire.»
On lui avait répondu qu'il pouvait commencer s'il voulait, ça ferai des vacances à tout le monde.
Alors celui qui criait avait répondu à l'autre quelque-chose de personnel, et les deux s'étaient jetés dessus et avaient roulé dans le sable.
On s'était levé et on avait essayé de les calmer.
Et sans qu'on sache trop pourquoi, tout le monde avait fini par se battre.
Le visage rouge. Du sable dans les yeux. Une voix étranglée traitant un autre de fasciste.
Une main arrachant une chemise avant que tous deux trébuchent et roulent au sol, jusque dans les éclaboussures des vagues.
Une main agrippant un visage, une mâchoire se refermant sur un doigt.
Quelqu'un toussant de toute ses force à cause de l'eau salée qu'il avait avalé.
Un autre agenouillé en pleurant, enfin tenant ses lunettes de vue brisées.
Autour de lui la mêlée ne fait pas attention à lui.
Chacun si loin de lui-même à cet instant, qu'aucun n'avait vu le ciel devenir sombre.
Et tout les signes autour qui annonçaient le typhon.
Le vent s'était levé d'un coup, giflant la peau de sable qui rentrait dans la bouche quand ils essayaient de parler.
Le vent interrompu les cris et souffla le feu et les bourrasques démantelèrent les abris de fortunes et emportèrent en quelques secondes les tentes, les vélos, les cartons nourriture,
le bois pour le feu, le frigos,le canot pneumatique, les toilettes, la bouée en forme de flamant rose et toutes les affaires personnelles enfin où se trouvaient antidépresseurs, téléphones portables et le précieux argent pour payer le terrain.
Tour le monde se mit à courir dans tous les sens, essayant de retenir ce qu'ils pouvaient.
Et puis la pluie s'était abattue.
Une pluie si danse qu'elle cachait la vue, tiède, coulant si fort sur le visage qu'il fallait fermer les yeux.
Cette fois on couru pour chercher un abri.
Mais comme il n'y avait rien que du sable partout à la ronde, ils finirent serrés les uns contre les autres sous un arbre.
Muets et grelottants.
La nuit était passée comme ça.
Et puis le jour d'après aussi.
Parfois on croyait que ça allait se calmer, mais au final il semblait plutôt que la tempête ne cessait pas d'empirer.
Et tous, hébétés, pensaient entendre à travers ce hurlement infini comme une vaste désapprobation que le monde semblait leurs réserver.
Ils étaient restés comme ça, blottis les uns contre les autres, sans même savoir qui était à côté, seulement préoccupés de retenir la chaleur.
La pensée s'était égarée pendant des heures à travers d'étranges délires, cherchant le sommeil que le froid chassait aussitôt. Et puis peu à peu, ce hurlement venant de partout à la fois et ces trombes glacées, tout ça avait recouvert dans leurs tête la confusion de
leurs échanges.
Tous ces discours contradictoires, mal-interprétés, incompréhensibles dans lesquels étaient venu errer leur passion.
Tout ça fut un instant encore incertain, un reflet trouble à travers une vitre embuée.
Puis tout disparut complètement, remplacé par le vacarme du monde.
Ce vacarme qui ressemblait maintenant à un silence infini.
Le silence qui avait précédé le premier mot du premier homme, et qui suivrait le dernier.
Au deuxième matin, la pluie avait cessé.
Le vent avait baissé à son tour, pour ne plus souffler que par bourrasques irrégulières.
Un jour encore et la lumière avait percé le plafond de nuages, venant se poser sur leurs peaux glacés.
On aurait dit que le monde était neuf.
Ils errèrent un moment au hasard, d’un pas incertain et raide, les bras encore serrés contre le ventre.
Et puis le sable sécha tout-à-fait.
Et on s'endormit au soleil.
On traînait quelque chose sur le sable.
Les autres ouvrirent les yeux.
C'était le vieux qui ramenait des affaires que le vent avait soufflé.
Et la traînée dans le sable, derrière-lui s'étirait de très loin, se perdant dans les dunes.
Il jeta tout sans ménagement sur un tas qu'il avait commencé aux voyages précédents.
Et cette fois il reparti vers les vagues.
Il ramena ramena plus tard un fagot de longues branches de bois flotté, blancs comme des ossements, des tronçons de cordes qui semblaient avoir été mâchés par la mer, et plein d'autres débris que les courants avaient ramené.
Sur la tête il portait ce qu'il restait d'un casque de moto. Le casque avait du dériver suffisamment longtemps pour que le soleil et le sel l'ait totalement blanchit et que les coraux s'y accrochent.
Combien d’années ça avait pu prendre ?
Après encore quelques voyages, il attacha ensemble plusieurs morceaux de bois en un long mat instable qu'il planta dans le sable.
Il recommença.
Cette fois, on vint l'aider.
Bientôt, il y avait eu plein d'autres mats semblables dressés sur la lande.
Comme les vestiges d'une très ancienne forêt qui aurait été engloutie par les eaux.
Et aux sommets se balançaient au vent des lambeaux de plastiques usés ou des bouts de tissu.
On avait laissé pendre dans le vide tout un tas de bouteilles et d'éclats de verre qui s'entrechoquaient dans les bourrasques en même temps qu'on entendait craquer le bois et les liens.
On ne s’était pas arrêté là.
Quand la forêt squelette avait été terminée, on avait dressé au milieu un édifice beaucoup plus haut, fait de mats assemblés.
Au sommet on avait construit une éolienne dont les pâles étaient faites de débris de verre et de miroirs. la roue projetait au sol des reflets mouvants de couleurs indéfinissables qui
naissaient et mouraient dans les replis du sable.
Face à la mer, on avait dressé de grandes voiles faites de couvertures de survie. Les bannières dorée et argent se froissaient et claquaient dans le vent en passant devant la lumière du soleil. Les voiles rejetaient de grandes ombres qui s'agrandissaient en fin
d'après-midi, chevauchant les éclats de centaines d’œils de verre des bouteilles
suspendues.
On avait aussi construit plusieurs planchers rudimentaires au dessus du sol, on tendit pardessus de grandes toiles, faites du restes des tissus qu'on avait pu retrouver. On avait maintenant un endroit pour dormir et s’abriter du soleil ou de la pluie.
Il n'y avait plus eu de cordes, alors on avait commencé à créer des liens avec des lambeaux de chemises et de vêtements de chacun.
Quand enfin on avait manqué de matériaux pour construire de nouvelles choses, on avait commencé à sculpter le bois. Bientôt, les piliers des édifices avaient été peuplés de visages et de scènes fantastiques.
A un moment, une silhouette était apparue, très loin, se détachant de la ligne des vagues et était venu vers eux. C'était le migraineux qui revenait, son masque de ski sur les yeux,
le corps entier et la chevelure couvert de traces de peintures.
Il s'arrêta à l'entrée du le palais et son regard monta jusqu'au sommet des architectures pour redescendre lentement vers le groupe qui commençait à se rassembler en face de lui.
Il était de retour.
On aurait dit qu'ils avaient du mal à se reconnaître, tous.
Ça dura un temps puis un grand sourire apparu sur le visage plein de peinture, découvrant l'entièreté d'une dentitions que la couleur n'avait pas épargné.
Plus tard, à la nuit tombée, on irai jusqu'à la grotte pour y pénétrer, éclairé de lampes et de torches. La fissure s'en allait au cœur du rocher, et sur ses parois, partout où on pouvait
lever la tête courait une grande fresque ininterrompue. Des images naïves se chevauchant, partant dans toutes les directions retraçaient quelque chose qui aurait pu être l'histoire connue du genre sapiens depuis son apparition jusqu'à ce que celle-ci se
détache de la parole et vive en paix. Mais il était aussi très probable que la peinture représente un monde de science-fiction où une espèce devenue sage parte à la conquête de son système solaire, puis des étoiles aux alentours. On aurait aussi pu y lire comme
une tentative malhabile de prophétie, annonçant la chute d'une civilisation au sommet de sa gloire.
On s’endormit dans la grotte, le visage tourné vers le plafond, laissant les torches finir de se consumer pour observer plus longtemps les images.
Certaines images deviendraient des rêves, peut-être, que la nuit chasserai de la mémoire.
On avait continué un peu le palais, utilisant ce qu'il restait de peinture et puis enfin on avait pausé le casque de moto sur un poteau. Ce serait la tombe de l'astronaute anonyme. Et quand la mosaïque de coquillage qui devait orner la sépulture fut finie. A ce moment là il
avait semblé que c'était bien.
On avait terminé.
Plus tard, un nouveau typhon balayerai tout, ou les gens d'ici reviendraient et les forceraient à partir à moins que ce ne soit les provisions dont on manquerai bientôt. mais en attendant, il semblait que ce qui était important avait été fait.
Quoi exactement ?
Personne ne l'avait vraiment formulé, parce qu'on avait arrêté de parler.
C'était arrivé sans que personne ne s'en rende compte.
Mais il avait semblé à ce moment là que personne n'ai trouvé à y redire.
C'était bien comme ça.
Ou peut-être que tout ce qui était important avait été dit.
Ou qu'au contraire, on s'était enfin fait une raison sur ce qui était important à dire.
Alors sur un rivage éclatant de lumière on avait dressé le palais de poussière, fait de ce qui, comme eux, avait échoué ici.
Ramené par les puissants courants off-shore qui traversaient le monde.

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